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Cüneyt Arkın : La légende du cinéma turc

L’acteur turc Cüneyt Arkın nous a quittés il y a tout juste un mois, le 28 juin 2022. Notre hommage…


Sommaire


Cüneyt Arkın : Le travailleur


Certains l’ont surnommé « l’Alain Delon turc », d’autres l’ont comparé à Jean-Paul Belmondo mais c’est une erreur de catégoriser Cüneyt Arkın.


Cüneyt Arkın est un acteur avec plus de 300 films à son actif, un docteur, un paysan, un anatolien… C’est un énorme travailleur que nous aimerions dépeindre aujourd’hui.


Pourquoi un travailleur ? Qui peut se vanter d’avoir tourné entre 10 et 15 films par an pendant ces années les plus prolifiques ? Qui peut assurer une discipline physique et diététique dans le but de pouvoir endurer entre 12 et 16h de travail par jour ? Quel acteur va s’entrainer des années durant, dans un dojo pour devenir ceinture noire de Karaté, et dans un cirque pour y apprendre des cascades qu’il pourra adapter à l’écran ?


La vraie question est : Pourquoi s’acharner autant au travail ?


Cüneyt Arkın : Le misérable


Cüneyt Arkın (Fahrettin Cüreklibatır) est né le 8 septembre 1937 dans un village nommé Karaçay près d’Eskişehir en Turquie. Il est l’un des 3 survivants d’une fratrie de 13 enfants, décimée par la famine. Tout au long de son enfance, il travaille comme berger et comme ouvrier dans une fabrique de tuiles.

Plus tard, il part étudier la médecine à Istanbul où il loge avec des maçons. Il doit travailler pour payer ses études et surtout pour fuir la faim. Il passe alors son temps libre sur les chantiers et pèche pour diner.


Lors de sa dernière année d’étude, il occupe un poste d’aide-soignant qui lui procure son premier salaire en milieu médical. Il dépense la totalité de son salaire dans du pain. Pain qu’il dévore sans arrêt au point d’en vomir… La présence du pain le rassure ; il en met même sur sa table de chevet. Cüneyt Arkın a peur de la faim. Cette crainte va le suivre toute sa vie, même dans les moments les plus glorieux, jusqu’à son décès le 28 juin 2022.


Cüneyt Arkın : Le cinéaste


Après son service militaire, Cüneyt Arkın a pratiqué la médecine dans la ville d’Adana. En 1963, il décide de participer à un concours organisé par la revue « Artist » et termine lauréat. Le réalisateur Halit Refiğ lui propose alors son premier rôle au cinéma. Il enchaine ensuite une trentaine de films romantiques en seulement deux ans.


En 1964, le tournage d’une scène de combat dans le film « Gurbet Kuşları » est un véritable déclic dans sa carrière. C’est là qu’il décide d’apprendre les arts martiaux et les arts du cirque après quoi il lance « Malkoçoğlu » et « Battal Gazi », deux séries de films d’un genre inédit en Turquie.


Sa carrière bat son plein pendant deux décennies. Cependant, il n’est pas épargné par la grande crise qui a fait décliner le cinéma turc dans les années 1980. C’est alors qu’il s’adonne à la réalisation et à la production. Dans les années 1990, la télévision se démocratise et les séries turques balayent le cinéma. Cüneyt Arkın est alors contraint de rejoindre le petit écran jusqu’à l’arrêt prématuré de sa carrière causé par les innombrables accidents qu’il a connus.


Cüneyt Arkın : La solitude


Sa vie, Cüneyt Arkın l’a vécue seul. Seul avec son chien de berger dans les steppes anatoliennes, seul durant ses études de médecine et seul, durant ses premières années au cinéma. Il travaille tellement qu’il n’a pas le temps de sociabiliser, de rencontrer, ni même d’aimer. Son travail lui génère du stress et de l’insomnie. Un soir, il remarque qu’un verre l’aide à s’endormir, puis deux…. Puis c’est l’alcoolisme.


Cüneyt Arkın n’aime pas. Cüneyt Arkın ne profite pas de sa vie. Il ne vit que pour satisfaire ses fans en tournant de nouveaux films. Il ne se sent exister qu’en tentant de nouvelles cascades, toutes plus dangereuses les unes que les autres. Là où ses médecins voient un comportement autodestructeur, lui y voit son seul moyen d’exister, de survivre et de fuir la faim qui continue de le hanter.


A la fin des années 1960, Cüneyt Arkın est épuisé, en burn-out, profondément seul et alcoolique. Et la lumière fut. Elle s’appelle Betül. Elle est devenue sa joie de vivre, sa lumière au bout du tunnel, sa plus grande supportrice. Elle lui a fait oublier l’alcool et lui a donné des enfants.


Cüneyt Arkın n’est plus seul…


Cüneyt Arkın : « Le jön »


Qu’est-ce qu’un « jön » ? Dans le monde audiovisuel turque, c’est un acteur bankable. Un excellent acteur, séduisant, capable de jouer dans des registres différents (action, aventure, comédie, drame, romance…). C’est une personne capable de mettre tout le monde d’accord. Il est aussi bien aimé par un public masculin que féminin. Il attire les gens quelles que soient les croyances et les idéologies politiques.


Murat Arkın, l’un de ses enfants, a dit lors de son éloge funèbre : « Mon père, Cüneyt Arkın est un élément qui nous rassemble tous… ».


Les journalistes n’hésitent pas à qualifier les acteurs séduisants de « jön ». Mais, il ne suffit pas d’être un mannequin pour mériter ce titre. Il est probable que la Turquie n’ait connu qu’un unique « jön » : Cüneyt Arkın.


Cüneyt Arkın : Roi du nanar


On ne tourne pas un film dans le but d’en faire un nanar, c’est le film qui devient un nanar. Nous pouvons avoir les meilleures intentions du monde et le plus grand sérieux lors de la production d’un film, mais il arrive parfois (généralement par manque de moyen) que le résultat soit tellement mauvais que ça en devient risible.


En 1982, Cüneyt Arkın s’essaye à la science-fiction avec le film « Dünyayı kurtaran adam » (L’homme qui a sauvé la Terre) surnommé « The Turkish Star Wars ». Ce genre de film n’est déjà pas évident dans un contexte hollywoodien, alors imaginez ce que ça peut donner en pleine crise du cinéma turc.

Ce film est devenu un monument dans l’univers du nanar et continue de réunir des milliers de fans du genre dans le monde entier.


Depuis près de 60 ans, Cüneyt Arkın est un héros, une idole, un exemple et un monument du cinéma turc. Sur plusieurs générations, les gens ont voulu aimer comme lui, se battre comme lui et lutter contre toute forme d’injustice tout comme lui. Il a toujours refusé de baisser les bras et n’a jamais utilisé le manque de moyen comme excuse pour ne pas tourner. Cüneyt Arkın a su magnifiquement faire évoluer le cinéma turc et nous devons tous lui être reconnaissant de tout ce qu’il a pu lui apporter.


Au revoir, le seul acteur turc à avoir été pressenti pour incarner James Bond.

Au revoir, la plus grande légende du cinéma turc.

Au revoir, l’homme qui m’a fait aimer le cinéma.

Au revoir, Cüneyt Arkın.

Ton étoile brillera à jamais sur nos écrans et dans nos cœurs.


Par Beşir Ardıçlık



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